lundi 3 février 2014

Chapitre I

Enfin seul.
Il eût fallu bien plus qu'une soirée pour oublier qu'elle était venue l'envahir.
Alors que le soleil gravissait péniblement la colline d'en face, elle avait sonné à la porte. Encore dans le coaltar, il n'avait pu s'empêcher de songer aux impayés. Télécom, impôts et PV s'étaient amoncelés depuis plusieurs mois dans le vide-poche. Il n'avait même pas pris la peine de les décacheter. A quoi bon? Ce petit amas de courrier à l'entrée lui rappelait à chaque passage qu'il menait une petite vie minable dont il n'avait plus rien à espérer dans une région sinistrée.
Il s'était levé, avait enfilé un calbute en trébuchant douloureusement sur le coin de la table. La petite blessure à l'orteil, il en était vraiment coutumier. Cet accident quotidien l'avait fait enrager. Il était allé ouvrir. Au moment-même où sa main s'était posée sur le loquet de la porte, il avait senti que les emmerdes allaient gangrener le dernier espace vital qu'il s'était interdit de sacrifier à autrui.
"Ça fait cinq minutes que je sonne. Pas encore levé ? T'en fais une tête !"
Il l'avait fait entrer cédant sous le poids de quelque fatalité. Elle était là, reluquant les frasques de la veille. Son regard, sillonnant la pièce, accédant même à des endroits qu'il eût préféré cacher, avait manifesté une ambition certaine de conquérir des lieux qu'à l'ordinaire elle n'aurait jamais osé convoiter.
Esther... nom de Dieu ! Ce nom au goût d'éther prenait subito chair en ce divin enfer.
Améliorer ses échanges sociaux était une de ses résolutions pour cette nouvelle putain d'année. Aussi, mû par quelque force mystérieuse de la communication moderne, s'était-il senti contraint de poursuivre ce semblant d'échange avec elle, ce qu'il n'allait pas tarder à regretter. Il savait alors que les prouesses du langage féminin allaient encore une fois le méduser. Il le savait, il n'était pas doué pour l'échange avec le sexe opposé. Toute tentative était vouée à une débâcle certaine dont même les plus cuisantes défaites militaires pouvaient se gausser.
Après avoir articulé quelques bafouilles d'usage, son cerveau, bien que encore noyé dans son écart éthylique nocturne, avait tout de même reçu le message suivant : elle venait d'esquiver quelques effluves avariés en coupant net sa respiration. Il lui fallait alors faire avec cette présence féminine dotée d'un sens olfactif ultra aigu. Le tube d'aspirine à portée de main, il avait englouti deux cachetons en moins de deux.
"Il était là hier soir. J'étais pas bien sûre au début. Mais après mon numéro, j'me suis planquée derrière le rideau. J'te jure, Charlie, c'était lui. "
A ce moment précis, il avait senti que tout allait basculer. Il ne lui avait rien demandé à cette fille-putain, et pourtant elle était là, dans sa cuisine, ne lui laissant aucune échappatoire possible. Après une gorgée d'arabica- toujours trop serré- il avait cherché une réponse qui, au mieux, eût pu la satisfaire, du moins lui prouver qu'il savait quoi faire. Il fallait qu'il réagisse, et vite. Il l'avait alors enlacée, se persuadant que c'était la meilleure réponse à apporter à une femme.

5 commentaires:

  1. Il l'avait rencontré dans un red light, 5 ans auparavant. C'était une pauvre fille marquée par les déboires de son enfance. Mais, sa schizophrénie se renforçait chaque fois, chaque mois.

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  2. Elle voulait tout convoiter, tous ses secrets, ses coins cachés. Il en avait marre de cette greluche. Aussi, ce soir là, décida-t-il..

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  3. Faut dire aussi qu'il se refusait in extenso à flanquer le moindre effort dans la tâche qui lui incombait. Faire semblant de tendre l'oreille, hochant sensiblement la tête à un rythme indiquant sa participation passive, lui demandait un effort gargantuesque. Etre le seul être masculin d'une tribu flanqué de 9 autres soeurs ne lui avait pas procuré les armes pour pouvoir aujourd'hui faire face à cette greluche.

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  4. Viens d'arriver. J'y vais doucement. Ok ?

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